Sortis de la crypte. [Lord Drake d'Ombresang.] [12/11/2009.]

Bon, d'accord, il veut le bouquin. Maintenant deux solutions s'offraient à la jeune femme : soit elle le tuait, gardait le livre et oubliait complètement ses sornettes stupides sur les pouvoirs vampiriques et tout le blabla qu'il pouvait bien lui jeter à la figure pour qu'elle espère, soit elle acceptait, lui donnait le bouquin et s'en allait calmement... Quoi qu'elle ne pourrait pas aller bien loin puisqu'il voulait qu'elle vienne vivre dans sa demeure. Elle imaginait bien quelque chose de somptueux et de grand... Elle eut un léger frisson à cette pensée. Ca faisait presque un an qu'elle avait quitté sa baraque et que depuis elle errait d'hôtel minable en hôtel minable... Parfois même elle avait préféré continuer sa roue de nuit plutôt que de s'offrir le luxe de dormir sur un truc moelleux. Elle ne savait pas si elle était encore capable de se tenir bien dans un appartement (précisons que son mini studio miteux car loué par l'Ombre, elle ne le ménageait pas vraiment). Bizarrement, quand elle songea à vivre avec Drake, sa première objection fut le repas : manger en face de lui... Ca faisait combien de temps qu'elle n'avait pas daigné faire un vrai repas? Avec un truc chaud, dans une assiette et même avec des couverts? Oulalah, longtemps. Assez pour qu'elle se sache amnésique sur le sujet. Ensuite, la deuxième objection (elle fut presque aussi rapide à venir à l'esprit de Lukanthia) fut les conditions d'hébergement. En échange de quoi? Si c'était le bouquin qui l'intéressait tant, alors il aurait pu la tuer plutôt que de lui proposer de la civiliser un peu. Ca lui coûterait probablement moins d'argent et de temps. Ou alors peut-être qu'il avait prévu de la tuer en l'empoisonnant... Mais elle ne voyait pas vraiment les choses ainsi. Elle s'attendait plus à des histoires de sexe. Le grand méchant vampire manipulateur (et certainement menteur pour pas un rond) avec des penchants libertins... Ca serait une bonne intrigue de film ça. Mais il n'avait pas l'air d'être un violeur en série, alors. M'enfin, si Luka avait des doutes, elle ne laissa rien paraître. Elle glissa sa main dans sa poche et tira le livre. Elle lui tendit.

- Faites-y attention.

C'était quand même un trésor qui avait plusieurs siècles. Elle aurait du lui sauter dessus : genre "Si tu l'abimes j'te bouffe." comme elle faisait avec tout le monde. Mais si ça lui passa dans la tête de le frapper jusqu'à ce qu'il réponde : "oui madame", elle n'en fit rien. Elle laissa juste un petit sourire mystérieux lui éclairer le visage. C'était un petit sourire mystérieux assez inexplicable. Il n'avait pas vraiment de sens, pas vraiment de connotations et pourtant on sentait que ce sourire voulait en dire beaucoup. Ce qu'elle avait pensé en souriant? Oh... C'est ma seule passion, alors faites attention. Rien d'important, donc. Là-dessus elle s'engagea dans le couloir qui continuait vers le cimetière. En réflexe qu'elle avait avant d'avoir échoué à Heaven, elle sortit le Compas de sa poche... Peut-être remarchait-il. Peut-être indiquait-il de nouveau la Tour. Et bien... Pendant une seconde elle crut qu'il pointait une direction, mais l'espoir passé, elle vit que l'aiguille virevoltait dans tous les sens perdue. En fait, cet espoir ne mourut pas, même si elle eut l'impression de le tuer dans l'oeuf. En réalité, elle se cramponne à cette direction depuis. L'Est. Elle s'arrêta de marcher, compas en main, tourna la tête vers Drake et elle reprit les propos de son nouveau grand Maître, pas encore vénéré cela dit.

- Vivre chez vous? C'est très gentil de me le proposer... Je... Mais... Où est le piège?

C'était idiot de le demander, ça. S'il y en avait un, il ne le lui dirait pas. S'il n'y en avait pas, il la prendrait pour une dingue et ne songerait plus à l'aider. Mais elle avait parlé plus vite que sa tête. Elle gardait espoir qu'il se souvienne quand même qu'ils ne se connaissaient que depuis une heure ou deux (l'obscurité ça fait vraiment perdre la notion du temps) et qu'il l'avait franchement chamboulée dans ses projets. Elle rangea son compas dans la poche qu'elle lui réservait depuis qu'elle le possédait, c'est à dire la poche de mollet gauche et attendit sagement que ce soit lui qui lui donne l'autorisation (l'ordre serait plutôt approprié) de continuer sa route. Quelques minutes plus tard Luka et Drake étaient sortis de la crypte par le passage que Kamui lui avait indiqué avant que tout ne dégénère entre eux... Les coups, les cris, les larmes : le viol quoi. Lukanthia avait le cimetière en horreur depuis cette sordide rencontre où elle avait - sans s'en rendre compte - vendu son âme au Diable et son corps à l'ange. Ce dernier était damné et elle savait qu'elle finirait par le retrouver et le tuer. Il fallait que cette petite ordure sans coeur et sans ami paie. Paie le viol, paie ses paroles... Paie pour les autres. Dehors, la nuit était tombée, la brume habituelle des cimetières en automne était arrivée et avait noyé toutes les tombes. La brume, cet espèce de cheval nuageux, était vraiment quelque chose que Luka aimait regarder. Elle l'aimait car elle avait le sentiment de pouvoir se cacher, de pouvoir laisser libre cours à ses fantasmes sans avoir à se prendre la tête avec : "Comment les gens vont réagir si je...". Et puis la brume avait cette connotation horrifique. Les réalisateurs de film d'horreur s'en servaient beaucoup, pour représenter les monstres tapis dans l'ombre, à l'affut et les evenements magiques. Luka adorait les films d'horreur : plus que tout. Ca ne lui faisait pas peur : elle les regardait et rigolait comme elle aurait pu rire face à un film comique.. Ca n'avait aucun sens, mais pourtant... Pourtant ça lui faisait du bien de regarder ce genre de films. Or, là, elle ne regardait pas un film : elle était bel et bien dans un cimetière embrumé, la nuit, avec un homme étrange qu'elle connaissait à peine. C'était inquiétant. Elle avait même la chair de poule. Elle avait froid, en prime. Elle se tourna vers son Maître :

- Il ne fait pas chaud... Sommes-nous restés si longtemps là-dedans?

Elle s'avança, montant un bout de la pente qui conduisait à la sortie du trou de la tombe. C'étaità ciel ouvert, large... Les murs de chaque côté d'eux étaient en pierre, des parcelles de mousse avaient poussé dans les interstices entre les pierres. À vue de nez, Luka pouvait dire qu'il s'agissait de pierre sèche : une méthode qui consistait à empiler des pierres de façon à ce qu'elles tiennent en équilibre parfait, et résistent aux chocs. Un peu comme des légos. Et ça, elle le savait car elle avait du apprendre à reperer les choses dangeureuses qui l'entouraient lorsqu'elle partait à la recherche d'un objet. Et d'un coup, un minuscule caillou tomba. D'en haut du mur, un peu plus loin, vers le haut de la muraille. Luka s'arrêta de marcher. En dehors de Drake et d'elle il n'aurait du y avoir personne surtout dans cette zone... Il n'y avait plus aucun bruit. Et puis...

- Hé, vous deux, qu'est-ce que vous faisiez là-dedans?! cria une voix.

Cinq hommes habillés en tenue militaire sortirent des ténèbres, tenant mitrailleuse, fusil et lampe torche. Ce qu'il foutaient là? Aucun idée.

- Y a tant de morts que ça dans ta famille?

Mais ce n'était pas une question. Ni même une question sortie tout droit de la rhétorique. Non, c'était juste l'application de la Règle Fondamentale selon Lukanthia Reyth Aletheus, je cite : "À question idiote, réponse idiote.". Pour faire plus simple, Luka avait à la fois envie de le chercher (parce que ça la foutait en rogne qu'un type lui parle comme ça, parce que ça la foutait en rogne qu'un type du même calibre que Kamui, pour dire sa haine, vienne lui parler, et surtout parce qu'elle haïssait parfaitement les sous-entendus mal foutus de ce genre. Pour elle, plus un type se vente, moins il a de quoi le faire...), en même temps envie de pleurer (parce que si seulement ça ne lui arrivait que de temps en temps ce genre de choses...) et envie de mourir... Mourir parce que ces situations étaient gênantes. Si elle répondait oui, elle se faisait sauter, si elle répondait non, elle se faisait violer. Ce qu'elle préférait? Oh, juste éviter la tournante qui s'engageait... Surtout que Drake pouvait changer de camp à tout moment... Donc elle avait décidé de l'embrouiller. En gardant sa voix la plus froide possible, et donc la plus déconcertante, elle avait martelé ses mots pour essayer de leur donner plus de signification. Elle était loin d'être aussi persuasive que Drake, mais au moins, c'était déjà ça. Son regard vide balaya les cinq hommes, leur montrant qu'elle n'avait pas envie de plaisanter... La question du militaire était mal polie, et la réponse de Luka étant perturbante, elle pensait arriver à les faire réfléchir assez longtemps pour avoir le temps de franchir la distance qui les séparait de la sortie... Mais là, elle s'illusionnait de nouveau. Elle marcha pour rejoindre Drake, pas mesuré, pour éviter d'avoir trop l'air de partir en courant et en même temps aller vite.

- Hé pépep poupée... Sois pas si pressée.

- Ouais, on te raccompagnera.

- Hé merde, murmura-t-elle pour elle-même.

Les hommes s'approchèrent d'un pas vers elle. Deux solutions s'engagèrent dans son esprit : courir comme une dératée en évitant les balles des gardes et aller se perdre dans la crypte, le noir les retarderait peut-être... Mais ce n'était pas une idée foncièrement probable... Elle était rapide et précise, mais elle ne pourrait pas éviter toutes les balles... Elle n'était pas dans un film à la "Matrix" où les acteurs survivent tout le temps... Elle choisit la solution la plus simple à réaliser et la moins dangereuse... Reculer d'un pas, braquer ses deux grands yeux bleus, perdus sur Drake, prier que quelque chose les arrêterait et surtout, ne pas trop gigoter. Elle avait envie de vomir. C'était toujours comme ça. Toujours ce genre de situation et toujours ce genre de réactions de sa part. C'était viscéral. Et elle n'y pouvait rien. Elle recula d'un deuxième pas, sentant le manteau glisser doucement de ses épaules et traîner sur le sol en béton armé mal coulé... Son envie de vomir était remplacée par un désespoir complet : elle s'était à peine remise de Kamui que ça recommençait déjà... Encore et encore... Mais ce désespoir profond fut remplacé par l'envie de mourir... Elle en avait marre d'être toujours considérée comme de la chair fraîche... De la chair fraîche que les hommes avaient envie de faire cuire, de la chair fraîche que les autres essayaient d'embobiner (mais elle savait garder la tête sur les épaules), même de la chair fraîche pour son Maître, qui croyait vraiment qu'elle était comme ça par manque d'éducation plutôt que par abondance de mauvais traitements... C'était les deux. Et, elle ne le connaissait pas assez pour être persuadée qu'il la protégerait, elle ne tenta rien. Elle était piégée.

- Encore...? esquissèrent ses lèvres fatiguées.

À la maison...