Le vélo c'est dangereux 08/01 Rivers

Décidément, je n'avais pas de bol... Non parce que les rues semblaient absolument vouloir me faire devenir folle... Oui, je m'étais perdue. Et alors? Ah non, si vous vous moquez ça va me gonfler encore plus vite... Mais faut comprendre, aussi, je me perdais tout le temps... Je n'arrivais jamais à me fixer une image des rues... Vous me direz, si j'arrivais à savoir que je passais régulièrement dans les rues, je devrais arriver à me repérer. Et ben manque de pot, tout ce qui me revenait quand je passais par là, c'était que j'avais déjà vu la scène... Moi tournant en rond comme un fauve en cage (avec autant de haine et de rage que le fauve, je veux dire) à essayer de chercher une faille dans le système. Je me sentais un peu comme dans un labyrinthe.

Ce qui m'agaçait surtout, c'était que j'avais eu une illumination. Je devais aller quelque part, pour faire quelque chose. C'était important, très important. C'était peut-être même le seul endroit où je pourrais trouver des gens qui sauraient comment m'aider (genre des psy qui n'auraient pas la fâcheuse manie de trop s'inquiéter pour moi)... Et l'impression que c'était vraiment vital d'aller à ce quelque part était restée un bon petit moment gravée dans mon esprit. Mon cerveau ne déraillait pas complètement ! Simplement, avec tout ça, à tourner en rond (enfin peut-être pas, je ne savais même pas d'où je venais, c'était pour dire) j'avais complètement oublié où je devais aller. Merde, hein...?

Alors en plus si une gamine en vélo me fonçait dessus pour essayer de me tuer (non, je savais très bien que ce n'était pas volontaire mais ma paranoïa naturelle reprenait le dessus), non mais bon, voilà, ça ne servait même plus à rien que j'essaie encore de sortir... non mais bon, je n'avais plus qu'à me trouver un appartement désaffecté et me débrouiller (avant de trouver le moyen d'oublier) pour m'enfermer à l'intérieur. J'étais sûre de pouvoir tenir un bon mois avant de crever de faim... Au fond, c'était peut-être la solution. Crever de faim, hein, pas m'enfermer dans un coin tranquille. Non, ça ne me tentait pas vraiment l'asile. De toute façon, je n'aurais même pas su dire si il y en avait un dans la ville.

La gamine était quand même un peu cinglée, remarquais-je en me souvenant tout d'un coup qu'il y avait bien une gamine étalée par terre. Elle descendait les escaliers en vélo... Elle avait pas du faire exprès. Quoi que dans ce coin de psychopathes et d'attardés, ç'aurait pu être complètement volontaire... Magiciens, d'accord, mais ça ne voulait pas non plus dire qu'ils étaient tous immunisés contre la connerie. J'avais eu de la chance, pour ma part. En fait, si il n'y avait pas eu cette canette (explosée maintenant) qui l'avait fait dévier (et par conséquent : tomber) je me serais retrouvée avec une roue avant de vélo encastrée dans le ventre. Au moins j'avais survécu... Je roulais des yeux dans mes orbites pour montrer mon exaspération... Puis quand ils furent fixes je me souvenais encore de cette gamine écroulée par terre. Elle avait dû se faire mal. en fait, j'avais surtout peur qu'elle ne se mette à pleurer. J'avais un peu de mal à réconforter, et encore plus les mômes... Ma... Façon de communiquer les effrayait.

Je me précipitais alors vers elle (parce que même si tout ceci est long à décrire, je n'avais pas tardé à me bouger). Je pris le vélo et le déplaçais. Je lui aurais bien demandé comment elle allait, mais je me doutais bien qu'une voix dans sa tête la ferait pleurer... Je lui tendis un bras un peu timide mais amical, pour qu'elle s'y accroche si elle en avait envie. J'aurais bien aimé pouvoir ouvrir la bouche et lui murmurer des choses gentilles... Même si ça avait été douloureux, au fond, je me disais que ça valait le coup... Mais même si j'avais fait ce sacrifice, je ne pouvais pas. J'étais muette... Point barre. Et à force, mes cordes vocales avaient dû s'atrophier. Je pris toute la patience que j'avais en stock et lui parlais mentalement le plus doucement possible (c'était dur de parler avec un enfant, j'avais toujours peur de parler trop fort et de lui causer une commotion cérébrale).

"Euh... Ca va aller petite?"

Euh... Rivers, qu'est-ce que tu fous avec une gamine allongée par terre? me demandais-je au final. Mémoire de poisson rouge oblige, je ne me souvenais de rien. Il n'y avait plus que pour moi une gamine et un vélo. Probablement un accident. Petite parenthèse, au passage, vous saviez qu'en réalité le poisson rouge avait une mémoire de quelques semaines et qu'il savait se souvenir de la personne qui le nourrissait? Si j'avais été un poisson rouge : déjà je n'aurais pas été une bonne nageuse, vu mes résultats quand le bateau s'était échoué; et ensuite j'aurais eu du mal à me dire : "non, ne t'approche pas, c'est un requin, il va te manger"... Mais de toute façon, un poisson face à un requin se comporte comme un démineur : il ne commet jamais deux fois la même erreur... À cette pensée, je ne pus réfréner un petit sourire.

C'aurait dû être un simple petit sourire. Mais en réalité, c'était un rictus carnassier. Ah non, ne vous méprenez pas : je n'étais pas dangereuse, j'étais toujours aussi inoffensive, c'était juste que je ne savais pas sourire autrement. J'espérais que la gamine ne serait pas terrorisée par cette moue inquiétante. En songeant à ça, je décidais d'arrêter. Mon sourire s'effaça aussi vite qu'il était venu. En parfaite symbiose avec la réaction de la fillette.

- Je crois que ça va... J'ai rien de cassé...

Elle me prit la main. Elle était toute petite ! Il s'avérait que je ne supportais pas la présence de gamins, en général, parce qu'ils me prenaient toujours pour leur grande sœur... Une grande sœur assez spéciale, en fait : j'oubliais que j'avais des (saloperies) de petits frères et sœurs. Depuis que j'avais eu la bonne idée de passer devant l'orphelinat... Ça, je m'en souvenais... Ça avait été une après-midi infernale... Mais le seul problème, c'était que je ne me souvenais pas OÙ se trouvait cette maison diabolique remplie d'enfants...

- J'm'ai pas raté quand même... J'suis désolée...

Elle, elle était quand même mignonne. C'était une vraie caricature d'enfant à couette (il lui manquait même la dent...) mais il fallait bien avouer que c'était trop mignon. Pour la première fois depuis longtemps, j'affichai une moue sereine, décontractée. Elle s'épousseta vivement pour nettoyer ses vêtements. Elle s'était fait mal au coude. Je gardais ma main sur son épaule.

"Je sais pas, je t'ai pas vue tomber." murmurais-je dans son esprit.

Mais la mioche continuait de parler... Ça, ça allait m'agacer vite, par contre. Étant donné que j'aimais la solitude, la solitude mélancolique, je voulais dire, alors les pipelettes, ce n'était pas mon truc...

- Merci. J't'ai pas fait mal au moins? J'ai eu peur de te rentrer dedans t'sais?

Non non, j'étais indestructible... Mais ça se voyait que je ne contrôlais ce pouvoir (ou cette nouvelle façon de parler, question de point de vue) parce que je n'avais rien vu venir. Ou alors je l'avais vu venir et c'était pour ça qu'elle m'avait évitée. Je ne me souvenais de rien... Encore une fois. Je lui lançais un petit sourire, un petit sourire amical. Il disparut vite, mais néanmoins, j'étais contente d'avoir encore la fonctionnalité "sourire" sur mon visage.

"Ca va, ça va aller... J'n'ai rien non plus."

- J'suis désolée...

"Mais non, mais non, c'est rien ! Fais attention la prochaine fois..."

Je la lâchais pour me baisser et ramasser son vélo. Il était un peu différent maintenant qu'avant... En fait, c'était plus un accordéon qu'autre chose désormais. L'aluminium est un matériau léger quand on y pense, léger, mais aussi relativement pliable... Je levais les cinq kilos de vélo (très léger) d'un bras plié vers la gamine.

"Euh... Dis moi, qu'est-ce que tu comptes faire avec ce... Ce truc?"