Encore un vampire?!! [Rika Kagame] [17/02/2010]

Ce jour-là, mon cerveau fonctionnait relativement bien. Ma mémoire durait plus que d'habitude. Plus longtemps. J'avais eu une intuition : il fallait que j'aille à l'école. Je ne savais pas ce que je devais y faire, je ne savais pas pourquoi, mais je savais que si j'allais en cours, tout irait bien. Alors je m'étais levée (à neuf heures du matin, donc déjà en retard pour les cours) et j'étais sortie de chez moi. Dehors, je ne m'étais pas perdue, pour une fois ! Décidément ma tête était en pleine forme. Cette fois, je ne m'étais pas non plus faite percuter par quelqu'un... Une bonne journée, une très bonne journée.

Trop bonne pour continuer ainsi tout le temps. Hélas, ça je l'ignorais encore, et j'allais apprendre cette terrible règle ce jour-là. Premièrement, étant donné que je ne savais pas que j'étais scolarisée au lycée d'Heaven (je l'avais oublié depuis longtemps) je venais au complexe écolier en dilettante : les mains dans les poches, sans cahier, sans trousse, sans stylo, sans rien... Et en retard. à l'école la grille était fermée. La règle était : après la sonnerie, la grille était fermée pour dix minutes. Comme ça, quand il pleuvait ou faisait froid, les élèves glandaient devant la grille sans pouvoir s'abriter. Le désavantage c'était que la plupart des élèves n'attendaient pas et rentraient chez eux pour la journée. Autre problème : les élèves qui arrivaient tout juste en retard ne pouvaient pas arriver en cours. Ils loupaient obligatoirement une heure de cours. C'était bête. Je m'assis sur une rambarde qui séparait le trottoir de la route. J'avais les pieds dans le vide et je les faisais se balancer chacun à l'opposé de l'autre... Je n'avais pas de montre. Et je ne savais pas lire l'heure. J'attendrais donc que les grilles s'ouvrent d'elles-mêmes (en réalité une vieille dame s'en chargerait) et je rentrerais.

Je ne savais pas du tout ce que j'allais faire une fois que je serais à l'intérieur. Mais l'idée d'aller à l'intérieur me disait que les choses rentreraient dans l'ordre. C'était bête, hein. Je restais donc une bon quart d'heure à regarder les plus petits détails autour de moi. La fumée bleutée de la cigarette de la jeune fille, oui, là, elle, à droite. Les chewings-gums collés par terre. J'aurais pu les classer par date d'arrivée et de fixation par terre moi. Et puis la vieille dame (coloration blonde pour éviter qu'on voie qu'elle était si vieille que ça) ouvrit la porte avec un tournevis. Je trouvais cette pratique étrange, mais tout compte fait c'était un bon moyen de l'ouvrir, cette fichue grille.

À l'intérieur, je me présentais au secrétariat. Je n'avais aucune idée de où aller, sinon. On me pria d'attendre dans une salle d'attente petite. On avait arraché la housse des sièges par endroits et la mousse sortait. Les murs avaient été tagués au stylo, au feutre, au surligneur. Apparemment tout le monde s'en foutait. Je décidais de faire abstraction des innombrables "wesh" et "vive mwa" qui ornaient le mur... La jeune femme qui m'avait demandé d'attendre revint me chercher. Elle me fit entrer dans un bureau. La principale adjointe m'attendait, main jointe et le menton en appui dessus. J'eus le temps de me dire que ça n'allait pas être calme comme conversation.

- Ecoutez Rivers, vous ne venez jamais en cours, vous ne répondez pas aux lettres qu'on envoie chez vous. Vous avez l'air de vous ficher de tout, vous ne parlez jamais. On ne fait pas plus récalcitrante que vous... qu'elle commença.

Bien sûr, je restais muette. Et je n'avais aucunement envie de faire une intrusion dans sa tête. J'avais peur de ce que je pourrais y trouver. Vu son maquillage (qui faisait franchement pute : sa peau était farineuse tellement la quantité de poudre qu'elle se mettait le matin la recouvrait, elle mettait de l'eyeliner bleu clair, sur des yeux bleus clairs aussi, son rouge à lèvres était rose bonbon, elle avait des pâtés de mascara sur les cils et des marques noires sous le yeux) elle devait laisser quelques hommes la prendre sauvagement uniquement pour ne plus se sentir seule. Ou alors elle faisait dans le sado-maso.

- Qu'est-ce qu'on peut faire d'une élève comme vous? Vous ne venez qu'une fois quand ça vous chante... dit-elle à nouveau et elle se leva et marcha jusqu'à la fenêtre.

Des talons hauts, qui claquaient et qui faisaient un son horrible. Ça me frustrait, ça me faisait grimacer... Le bruit le plus désagréable du monde : clak, clak, clak, clak... Et elle continuait de marcher. Clak, clak. Elle tournait en rond. Clak, clak.

- Nous ne vous voulons plus dans notre école, fit-elle aussi naturellement que possible en conclusion.

Donc ça voulais au moins dire que j'avais fait partie de l'école à un moment ou un autre. Donc il y avait des archives me concernant. Pendant qu'elle regardait par la fenêtre, je pris un stylo bille sur la table et m'inscrivit "archives rivers lycée". Ça devait suffire à ce que je ne l'oublie pas. Je reposais le stylo sur la table. Elle me regardait. Droit dans les yeux. Je fichais mon regard dans le sien, désintéressée, mais quand même ravie de pouvoir faire un combat de regards. J'aimais bien. Il dura de longues secondes. Puis, elle appela sa secrétaire.

- Reconduisez mademoiselle Illan dehors.

La secrétaire m'invita du regard à me lever et je la suivis. Nous traversâmes la cour de récréation. Il était dix heures douze. Il n'y avait pas un chat cette fois. Ils ouvrirent la porte pour me faire sortir et quelques élèves en profitèrent pour rentrer et filer en cours. Dehors, je restais un moment sur le trottoir, devant la grille. Toujours avec mon air un peu abruti, un peu paumé, un peu solitaire aussi. Je jetais un coup d'œil à ma main, pour me remémorer mes plans. J'y retournerais cette nuit, en attendant, j'avais du temps à tuer. Je me mis à marcher (lentement, je laissais mon rythme de croisière (environ six kilomètres/heure) ralentir à chaque pas, juste histoire d'arriver à réellement flâner) et je longeais le mur. Je comptais tourner autour du bâtiment jusqu'à ce que mes jambes ne me portent plus. Si je m'éloignais trop, j'allais oublier. Je regardais encore ma main. Ce soir. Le lycée. Puis, à un tournant, je sentis comme une ombre se faufiler dans mon dos. Je m'arrêtais de marcher, regardant dans mon dos... Rien personne. Mais je n'avais pas rêvé. Je continuais de marcher...

Ca faisait quelques jours que j'étais "changée". Je ne savais pas ce que j'avais de plus, ou de moins, je ne voulais pas savoir, mais tout était à parier que ça avait un lien direct avec la double cicatrice que j'avais autour du cou... J'en avais un tas d'autres, que j'ignorais, mais les deux trous rouge vif que j'avais à la gorge m'inquiétait un peu... J'avais dû tomber sur un vampire affamé. Ce qui me faisait chier (même si m'être faite mordre m'emmerdait pas mal) c'était d'avoir complètement oublié qui, quand, où, pourquoi...

Est-ce que cette morsure voulait dire que j'allais devenir une chauve-souris assoiffée de sang comme les autres? Un stéréotype à la con, je sais... Mais je ne pouvais m'empêcher de douter un peu. Après tout, je ne me souvenais de rien : ça ne me rassurait pas. En attendant, j'avais une aversion pour le reste des créatures vivantes... Probablement un effet secondaire de la morsure... Alors quand la personne qui me filait depuis peu me héla, ça me fit comme une gifle ou une douche froide... Quoi qu'une gifle sous une douche froide correspondait plus... Je m'arrêtais de marcher et me retournais en une volte-face agressive... Je n'étais pas un chat, ni un neko, ni un hybride (je ne savais pas que ça existait jusqu'à ce que j'en croise un... La question c'était : comme un neko (espèce hybride) pouvait s'hybrider encore plus...?) mais pourtant, j'avais les poils (et certaines mèches de cheveux) hérissées.

- Perdue?

Jdam ! Et une baffe dans la tronche, une ! Je foudroyais la fille du regard. Elle était jeune, blonde, presque plantureuse (mais ça n'engageait que moi ça)... Un regard... Un regard spécial, indescriptible... Mais un regard que je n'aimais pas (quoi qu'à ce moment là, j'étais incapable d'aimer ça)... Moi, mon regard avait changé. De marron clair, il était devenu un brin rouge... Pas très visible, mais relativement présent... Un peu comme si j'avais des veines qui avaient éclaté dans les yeux... Mais j'attribuais ça plutôt à un effet secondaire (aussi) de la morsure que j'avais autour du cou. Je me frottais la plaie du bout des doigts.

"Pas vraiment." crachais-je dans son esprit.

Je la foudroyais du regard. Et au fond, j'étais désolée de me montrer si sèche et si... Excessive. Mais je n'y pouvais rien, c'était comme ça, ça venait tout seul. Je restais plantée sur place, à moitié tournée vers cette femme, à moitié tournée vers la route que je suivais au préalable... D'ailleurs, quelle piste je suivais? Je fis un effort pour m'en souvenir moi-même, mais malheureusement, au bout de quelques demi-secondes, ma patience s'envola : je regardais la main qui caressait mes deux petits trous : "archives rivers lycée". Ah oui, farfouiller dans le lycée. L'autre pourrait peut-être m'aider.

"Qu'est-ce que vous voulez?" lui lâchais-je (sèchement, mais un peu moins désagréable) mentalement.

Je ne tenais pas à la repousser. D'ailleurs, sa présence me dérangeait de moins en moins... Mais je ne pouvais pas passer d'un sentiment à un autre aussi rapidement : j'en étais physiquement et psychologiquement incapable... Incapable mais désolée. J'essayais de la foudroyer moins sévèrement du regard. Je ne me voulais plus sèche dans son esprit... C'était juste un peu de mépris. Le mépris de celle qu'on vient déranger en pleine rue alors qu'elle n'avait rien demandé à personne... Mais bon, peut-être que si la fille me parlait assez longtemps je pourrais me faire pardonner ces indélicatesses...