Balade dans un endroit un peu étrange [PV: Shemhazaï [28/08/09]]

Moi, pour ma part, je trainouillais paisiblement sur les quais. Paisiblement : en apparence... Les mains dans les poches de mon pantalon noir, ample, à multiples poches et zippettes en métal argenté inutiles extremement bruyantes, que je chérissais tant, ces derniers temps... Moi, Shemhazaï la calme, la perfide, mais la calme, j'était tout bonnement largement, amplement, sublimement insatisfaite par ma journée. Aujourd'hui, je n'avais pas encore tué... Ca me rendait dingue de savoir que je n'avais pas réussi à exterminer Xain parce qu'il avait pris du repos... Ce sale petit ver de terre meuble... Oh, il pensait sincèrement que prendre une semaine de congé pour se reposer, se remettre d'aplomb, le sauverait de mes griffes. Mais malheureusement, il était tombé sur moi. Et moi, je ne laisses jamais tomber. Jamais.

Oh, je ne pouvais pas m'en empêcher, je ne pouvais pas lutter contre cet horrible sentiment d'insatisfaction... C'était trop dur pour mon égo surdimensionné de supporter l'humiliation de n'avoir aucune obligation et de n'avoir rien fait de ma longue et interminable journée. Dans ces cas là, je me disais que je ne faisais rien de mon existence et je me mettais à déprimmer inlassablement, jusqu'à ce que mort s'ensuive... Pas la mienne, de mort, bien sûr. Celle d'un autre... Et dès que j'avais tué, même sans inventivité, je me remettais à aller mieux. Deprimmer, ça m'énervait. Et là, c'était en train de me tomber dessus. Je ruminais ma haine, ma colère, et mon admiraton tellement fort que j'en avais l'impression que la luminosité ambiante était plus sombre.... Que quelque chose changeait parce que mon aura était devenue menaçante... J'étais un esprit, après tout, ça expliquait pas mal de choses... Mais non : si l'éclairage baissait, c'était parce qu'il faisait nuit noire, à présent et que les rares luminaires des quais ne suffisaient pas à éclairer la route.

On ne discernait que des formes, des ombres, des camarades en perdition... Des gens passablement vicieux, tordus, cassés, qui, ce soir, avaient prévu de se faire une petite péripathéticienne dans un coin ou un hôtel miteux, un viol violent et dénué de toute passion, un meutre sanguinaire qui laisseraient des marques sur les murs et dans les coeurs, jusqu'au lendemain, en tout cas, une agression inutile faite par deux hommes qui ne sauront pas se partager la somme équitablement et qui finiraient par se poinarder mutuellement... Avec la même arme qui leur aurait servi à détrousser des passants innocents... Ou deux, ou trois, ou quatre. Qui sait ce qu'il se passe dans l'ombre de la nuit, des ténèbres, lorsque tout le monde va se coucher? Au fond, tout le monde sait ce qu'il se passe dans l'ombre, sinon, pourquoi les gens iraient-ils se coucher de si bonne heure et vérifiant scrupuleusement avoir fermé la porte d'entrée et la porte de derrière? À Heaven, c'est comme ça... Et selon moi, ça n'est pas près de changer.

Ces gens-là, ces voyous, ces dealers, ces voleurs, ces violeurs, ces repris de justice, ces tueurs etces psychopathes en puissance ne valent pas mieux que moi... Car après tout, moi aussi je suis en quête d'une âme perdue que je pourrais déchirer, mutiller, anéantir, blesser, marquer, torturer, faire gémir, étrangler... Je la cherchais, tous mes capteurs en alerte, prête à lui bondir dessus à la seconde même où je l'aurais enfin débusquée... Je la cherchais encore, car la nuit venait de tomber et que la journée allait bientôt s'achever... Je n'avais plus beaucoup de temps, et je n'avais plus beaucoup de patience.... Quelque chose en moi grognait, et ce grognement me terrifiait moi-même.

Eh, mais justement, en voilà une. Alpaguée allègrement par des prostituées de bas étage, une forme assez indistincte se mouvait dans ce noir... Je m'arrêtais de marcher, jaugeant la silhouette de loin... Diagnostique : corpulence interessante... En termes plus simples : la chose avait mon gabarit. Un adolescent fugueur, en colère contre ses vilains parents qui le nourissaient, le logeaient et l'aimaient de toute leurs forces? Probablement... Ou alors un drogué venu chercher sa dose.

- Bon, okey, j'accepte, mais c'est toi qui paye... qu'il murmura.

Une voix d'homme. Bon, si je fermais les yeux, probablement que je pourrais imaginer tenir le corps froid et sans vie de ce lâcheur de Xain. La grande question, c'était : me parlait-il à moi? Ou à une autre chose indistincte munie de bas résille et talons de quarante-sept (attention, j'ai bien dit quarante-sept) centimètres de haut? Je regardais autour de moi. Ou plutôt, autour de nous. Des filles, trop jeunes pour ce sale boulot, mais qui avaient perdu leur beauté en même temps que leur dignité... Je tentais ma chance.

- Et tu m'emmènes où, chéri?

Je n'avais absolument aucune expérience de drague depuis ma mort... Et, ça ne me tentais pas tant que ça de réessayer... Mais c'était probablement ma seule et unique façon de foutre quelqu'un dans un lieu vide, en ma compagnie et en celle de mon rasoir, ce soir... En songeant à ça, je ne pus m'empêcher d'effleurer du bout des doigts la poche de mon pantalon noir (que j'adorais toujours autant) et de sentir le contact du bois, en dessous du tissus. Ca me fit frissonner. Assez pour que j'ai envie qu'on se tire derrière un navire....

À bien y réflechir, j'aurais bien joué un rôle, ce soir... Ca m'aurait changé de toutes ces conneries habituelles de combats, de larmes, de cris... J'adorais ces conneries, mais le changement me plaisait bien aussi. Cette fois, je me serais appelé Mary, une jeune adolescente maltraitée par ses parents depuis sa naissance, j'aurais été mise à la rue par mes tortionnaires de parents. Bien sûr, j'aurais été une grosse niaise, et comme je n'aurais pas su quoi faire, où aller, je me serais réfugiée sur les quais, à la recherche d'une âme sensible qui pourrait s'occuper de moi, en échange de moi et de mon pauvre petit corps meurtri... Oh oui, ce serait beau... Tellement beau... Il pourrait peut-être même y croire.

Mais je ne me faisais pas d'illusions, parce qu'autant, il pouvait y croire, autant l'histoire était belle, autant, je serais incapable de rester sérieuse en jouant ce rôle.... Pendant que je me trémousserais, mettant ma poitrine en valeur, je serais obligatoirement prise d'un terrible fou rire... J'étais sûre que je ne tiendrais pas... Quelques minutes peut-être... Mais pas beaucoup plus. Donc, pas le rôle de l'adolescente.

Il me restait par conséquent, deux rôles. Celui de la junkie venue chercher sa dose et qui lui aurait répondu parce qu'elle était complètement défoncée, mais ça ne collait pas parce qu'il se tirerait en courrant au plus vite, ou alors, le rôle de la prostituée. Autre problème : je ne ressemblais pas tant que ça à une prostituée.

Mon pantalon noir, était ample et cachait mes formes, la ceinture que je portais pour le retenir (car, il était trop grand de trois ou quatre tailles) était loin d'être sexy. En cuir, elle semblait avoir de l'âge car elle était toute frippée, assez petite, sans grande valeur... J'avais juste mon corsage, qui pouvait passer comme un accesore de prostitution. Il mettait assez exagérément ma poitrine en valeur et avait de l'âge, aussi. Je pouvais peut-être me faire passer pour une sadomaso qui cacherait un fouet dans son sac à main... Bon, je n'avais pas de sac à main, mais pourquoi pas.

Je continuais de songer, ignorant sa première phrase, calculant mes chances de le délester de quelques litres de sang, me trouvant une histoire, un passé, une excuse... Je pourrais tout de même utiliser l'histoire de l'adolescente et celle de la junkie pour faire celle de la prostituée, s'il posait des questions. Je n'avais qu'à faire comme ça, et si jamais je ne m'en sortais plus dans mes mensonges, mon grand ami le rasoir viendrait, volerait à mon secours et me délivrerait du mal et le tentation... Amen.

- Alons y, alors.

Je lui avais parlé avec une douceur, une sensualité, presque un plaisir ! que j'ignorais pouvoir avoir en moi... Je lui avais même lâché un gentil sourire. Un sourire sincère et engageant. À s'en taper la tête contre les murs : je tenais vraiment quelque chose de la prostituée de luxe... Je m'igmaginais en train de me fracasser le crâne sur le mur à côté de nous quand j'eux l'idée de faire quelque chose. Ca me révulsait, ça me répugnait, je n'avais qu'une terrible envie : vomir, mais je le fis quand même : je le touchais.

Le contact entre sa peau et la mienne, je ne sais pas s'il ressentit la même chose que moi, ou s'il le trouva agréable, mais moi, je crus que j'allais lui vomir dessus. Ca me faisait la même chose qu'avec Seth, au début de notre amitié... Je lui avais sauvé la vie une fois, en le rattrapant de justesse alors qu'il allait gentillement se casser la gueule du haut d'un immeuble, et résultat, je l'avais presque lâché de déplaisir. C'aurait été con. Douze étages...Maintenant, ça allait, mais avant... Urk.

Le fait était que le toucher, ça me donnait des nausées... Ce gamin de pacotille... Je retirais ma main en essayant de camoufler mon dégoût derrière des gestes lents et assurés et un sourire toujours aussi provocateur. Il me demanda mon nom...

- Je... Shemhazaï. Enchantée, et vous?

Le vous... Venant d'une pute c'était rare. C'était peut-être une erreur que de l'avoir dit. Mais trop tard. C'était sorti, à lui de voir s'il avait une once de jugeaute ou non...